Asthmes

Publié le par Bifsteak

sophie-maurer.jpgAsthmes n'a pas seulement le mérite d'avoir du rythme et du style - des phrases hachées, coupées de virgules, cassées, à la McCarthy, à la Selby Jr. Le livre s'articule autour d'une structure qui terrasse le lecteur pour le fondre, l'aspirer. Cette structure implacable est portée par dix personnages. Je ne sais pas si ma lecture est exacte, mais j'ai perçu dans les premiers portraits les fondations d'un univers réaliste, depuis le premier personnage, une femme caressante (elle est décrite comme une femme-rivière, s'écoulant d'une relation amoureuse vers une autre, il se dégage de cette description - « Elle avait toujours envie lorsqu'ils se voyaient de lui lécher les lèvres très doucement », « des phrases bulleuses », « coller leurs peaux l'une à l'autre en attendant l'orage » - dégage une impression humide, aqueuse, moite) jusqu'au balayeur Malien, chaud, sec (« Au moins, c'était certain, il ne porterait pas sa peau comme une ombre, avec toujours les yeux glissants des hommes blancs, et la misère comme accrochée aux joues »). Par ces caractéristiques hippocratiques, le monde dépeint par Sophie Maurer nous est familièrement tangible et sensuel.

Et commence alors un travail de sape perturbant. L'auteure malaxe, dissout l'espace et le temps. Elle efface nos repères: les énumérations de lieux, de compagnons cèdent aux réminiscences quotidiennes, jusqu'à devenir une masse informe de détails futiles et parasites. Les brumes s'élèvent pour noyer le lecteur, happé dans le trou noir de l'oubli, de la mort, aussi irrémédiablement qu'on y est plongé dans Le Démon de Selby Jr. A cette différence près que dans le livre de Sophie Maurer, le démon est désincarné. Il est impalpable, dans l'air, dans le quotidien, dans notre propre tête, dans la décomposition de nos souvenirs. En contre-proposition, la lutte. Faire face, avec courage, pertinence, malice - avec en musique de fond London Calling:

"Si le type, là, de biais, qui te ressemble peut-être mais peut-être pas, te propose de le rejoindre pour qu'ensemble vous soumettiez ou guidiez un plus fragile, mets-lui la tête dans le sac, et hop, par-dessus bord. S'il veut que tu te couvres ou te découvres, que tu portes un signe, un mot, une image, une couleur, des poils ou des chapeaux, fais-lui bouffer sa propre main. Même, surtout, s'il cherche simplement à te convaincre que c'est la vie, qu'il y a des plus faibles et qu'ils portent un nom, frappe juste au bon endroit, deux fois, vite, et sans hésiter."

Asthmes, Sophie Maurer, 2007.
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