Illusions perdues

Publié le par Bifsteak

illusions.jpg"Il était décidé à payer mille francs la propriété entière de L'Archer de Charles IX, et à lier Lucien par un traité pour plusieurs ouvrages. En voyant l'hôtel, le vieux renard se ravisa. "Un jeune homme logé là n'a que des goûts modestes, il aime l'étude, le travail: je peux ne lui donner que huit cents francs." L'hôtesse, à laquelle il demanda M. Lucien de Rubempré, lui répondit: "Au quatrième!" Le libraire leva le nez, et n'aperçut que le ciel au-dessus du quatrième. "Ce jeune homme, pensa-t-il, est joli garçon, il est même très beau; s'il gagnait trop d'argent, il se dissiperait, il ne travaillerait plus. Dans notre intérêt commun, je lui offrirai six cents francs; mais en argent, pas de billets." Il monta l'escalier, frappa trois coups à la porte de Lucien, qui vint ouvrir. La chambre était d'une nudité désespérante. Il y avait sur la table un bol de lait et une flûte de deux sous. Ce dénuement du génie frappa le bonhomme Doguereau."

Illusions perdues, Honoré de Balzac, 1835-1843.

Dans Illusions perdues, Balzac s'attache à détruire deux personnages, David Séchard, imprimeur à Angoulème, et Lucien Chardon, dit de Rubempré, poète. Le premier est un inventeur génial, dupé par ses concurrents, le second suit à Paris sa maîtresse et devient journaliste. Lucien de Rubempré découvre bientôt les jeux politiques et commerciaux du journalisme, s'y perd par goût de la fortune, et vend littéralement son âme contre une bourse d'écus. Balzac est drôle, cruel, il dissèque ses personnages, les torture à la flamme du remord, de l'amour-propre, il les plonge dans une misère sans espoir, et nous laisse une perle du roman noir du XIXe siècle. La transaction se poursuit ainsi:

"Je vous l'achète quatre cents francs, dit Doguereau d'un ton mielleux et en regardant Lucien d'un air qui semblait annoncer un effort de générosité."

Dans le cadre de son livre Le Travail, communion et excommunication, 1998, le philosophe Nicolas Grimaldi analyse les rapports de subordination entre les différents personnages des Illusions perdues, en remontant la pyramide des dominations exercées par tous les protagonistes. Il explicite ainsi la conception moderne de l'esclavage :

"Mais ce qui fait du travail un esclavage, les descriptions de Balzac nous l'ont fait pressentir. Ce n'est ni la disipline, ni l'obéissance, ni l'effort, ni même l'envahissement de la vie par le travail ; c'est l'injustice. Devoir agir contre sa conscience, contre l'honneur, contre la vérité ; ou corrélativement se trouvé blâmé, ou censuré, ou écarté, ou refusé pour ce que nous avions de mérite ou pour ce que nous eûmes de vertu : voilà le principe de l'esclavage. C'est un simple principe d'avilissement."

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F
<br /> Je prends celui-là ! Oh que oui!<br />
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